L’aménagement de l’entrée du bâtiment est une question récurrente dans la mise en accessibilité du patrimoine. En effet, l’emmarchement est souvent le premier obstacle d’accessibilité des édifices avec lequel les maitres d’œuvre doivent composer entre l’exigence d’une accessibilité pour tous et les enjeux de protection patrimoniale. Nous avons étudié un certain nombre de propositions mises en œuvre afin de rendre accessible l’entrée de bâtiments en combinant les différents enjeux du projet.
Le Boston Architectural College est le premier de ces exemples. Avant les travaux de mise en accessibilité, l’entrée principale comprenait une volée de marches. Au moment de la réhabilitation du bâtiment, des recherches historiques bibliographiques ont été menées et ont permis de démontrer l’absence de marches au niveau de l’entrée principale du bâtiment d’origine. L’architecte en charge du projet a ainsi pu argumenter la suppression de l’emmarchement de l’entrée comme un retour à la configuration d’origine du bâtiment. Le traitement du pavage au niveau du porche d’entrée renforce la continuité au sol entre l’intérieur du bâtiment et l’espace public, comme une invitation à entrer. A l’intérieur, l’espace d’accueil a été décaissé pour être au même niveau que la porte d’entrée, il permet d’accéder au premier demi-niveau du bâtiment par une rampe d’accès. Celle-ci a été valorisée par l’intégration de supports d’exposition destinés aux travaux des étudiants.
Boston Architectural College – Crédits photographiques IHCD
Le Palais de Justice de Lyon est un autre exemple de mise en accessibilité de l’entrée avec des contraintes patrimoniales fortes. Le bâtiment, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, a rouvert ses portes en 2012 après 4 ans de rénovation. Des obstacles à l’accessibilité pour tous étaient présents dans l’ensemble du bâtiment et notamment au niveau de l’entrée. Initialement celle-ci se faisait au premier niveau du bâtiment par le biais d’un escalier monumental. Le parti pris des architectes en charge du projet fut tout d’abord de conserver l’escalier monumental. En effet, un tel emmarchement, vecteur d’une symbolique forte, ne pouvait faire l’objet d’une démolition ou d’un aménagement sans mettre en péril la cohérence architecturale et urbaine de l’édifice. L’emmarchement fait lien entre le bâtiment et les éléments du contexte qui le mettent en scène (axialité du pont, esplanade), sa place de pivot assurant ainsi la continuité du bâtiment avec son environnement. La solution retenue a donc été de détourner l’entrée fonctionnelle du bâtiment sans intervenir sur son entrée symbolique en transformant une ancienne porte de service située au rez-de-chaussée en entrée principale accessible à tous. Celle-ci se trouve à l’extrémité nord d’une grande galerie située sous le péristyle et anciennement occupée par les archives. Le déplacement de l’entrée a impliqué un certain nombre de modifications sur l’espace urbain ainsi que sur l’organisation intérieure :
- l’esplanade a été réaménagée en pente douce constituée de pavés arasés.
- la galerie sous le péristyle, devient un « hall » d’entrée, où tous les locaux d’accueil sont regroupés (accueil du public et informations). Au centre, se trouvent quatre ascenseurs permettant au public d’accéder aux différents étages du Palais de Justice.
Palais de Justice de Lyon – Crédits photographiques Metropolis Architectes
Ces deux exemples démontrent qu’en utilisant les potentiels du bâti existant, qu’ils soient d’ordre organisationnels ou historiques, il est possible de proposer une mise en accessibilité impactant peu sur l’aspect architectural du bâtiment. Cependant le bâtiment d’origine n’offre pas toujours ce type de potentiel et contraint parfois le maitre d’œuvre à modifier lourdement le bâtiment.
Ainsi, la prison de Dundalk, située en Irlande et construite en 1853, a dû être complètement repensée au moment de se réhabilitation en lieu culturel public. Le bâtiment est constitué de trois volumes distincts (un ancien logement et deux anciennes ailes de cellules) reliés par une chapelle centrale. Avant la rénovation, l’entrée principale était constituée d’une volée de marches rendant impossible l’accès à tous. Le projet de réaménagement a donc été l’occasion de créer une nouvelle entrée, située sur un des cotés du bâtiment, par le biais d’une passerelle en verre. A l’intérieur, les cellules n’étant pas accessibles pour une personne en fauteuil, l’architecte a proposé l’aménagement d’une circulation alternative en enfilade. Cette circulation a nécessité des travaux lourds sur le cadre bâti puisque des percements ont été réalisés dans les murs de séparation des cellules. Cette stratégie permet néanmoins de conserver l’intégrité de la galerie centrale du bâtiment et de proposer un nouveau principe de circulation intérieure offrant ainsi une nouvelle perception de l’espace. La principale volonté, dans ce cas, fut de préserver les caractéristiques architecturales du lieu témoin de son esprit et de son histoire.
Prison de Dundalk – Crédits photographiques Lysaght Deaton Architects
L’emmarchement situé à l’entrée est donc un obstacle récurrent dans la mise en accessibilité des bâtiments historiques. Lorsque le bâti ne présente pas d’opportunités pour la mise en place d’une stratégie d’aménagement de l’entrée, des solutions techniques peuvent être développées. On observe différents degrés d’intégration de ce type de solution.
Le cas du Musée des Beaux Arts de Bordeaux nous propose une solution mixte en terme d’intégration. En effet, un emmarchement situé à l’entrée de chaque aile du bâtiment posait un problème d’accessibilité à tous les publics. Afin de rattraper un première partie de la différence de niveau entre le sol extérieur et le sol intérieur, une rampe a été aménagée à l’extérieur du bâtiment. Cette rampe a fait l’objet d’un souci d’intégration (choix des matériaux) et de valorisation du cheminement (éclairage intégré). Concernant la seconde partie de l’entrée, l’emmarchement existant a été conservé et suppléé d’une plate-forme élévatrice.
Musée des Beaux Arts de Bordeaux – Crédits photographiques Léa Pelotte
La plateforme élévatrice est un élément souvent utilisé pour le franchissement des emmarchements. Cependant cet ajout technique peut se faire de façon plus ou moins intégré. En Suède notamment, un programme d’accessibilité a été mis en place : la démarche « Entrée digne ». Elle se base sur un principe simple : dans un bâtiment tous les publics doivent être en mesure d’utiliser la même entrée, y compris dans le cas d’un bâtiment protégé. Le Musée de l’ancienne base navale de Stockholm offre un exemple intéressant de mise en place d’une plateforme élévatrice dans un souci d’intégration optimale. En effet, l’accès au bâtiment se faisant par le biais d’un emmarchement, une plateforme élévatrice encastrée dans le sol a été installée. Le souci d’intégration aussi bien en terme de choix des matériaux que d’encastrement du dispositif lui permet de devenir une partie intégrante du bâtiment. Seul le panneau de commande est réellement visible, il permet d’actionner la plateforme. Celle-ci s’élève dans un mouvement horizontal permettant de franchir la volée de marches. Son revêtement est le même que celui du sol et, seul un petit rebord (prévu pour éviter tout glissement) permet de distinguer l’élévateur. A travers cet exemple, on peut voir que l’intégration esthétique d’un dispositif technique est possible et permet d’offrir une solution alternative qualitative en terme d’usage et de respect du cadre bâti.
Musée de l’ancienne base navale de Stockholm – Crédits photographiques Nina Broberg
Au delà du simple ajout, il est intéressant de penser qu’une solution à l’origine technique peut devenir l’élément central d’un projet et engendrer une architecture de qualité. La maison Lemoine, réalisée en 1988 par l’architecte contemporain Rem Koolhaas, illustre bien cette idée. En effet, la maison a été entièrement pensée pour un occupant qui se trouve en situation de handicap moteur, et sa famille. L’architecte a alors proposé un projet décomposé en trois plans superposés, et reliés entre eux par une plateforme élévatrice permettant au propriétaire de monter et descendre les étages comme si la maison n’en comptait qu’un seul. Ici «l’ascenseur» est l’espace central de la maison et c’est lui qui donne sens à tout le projet. La plateforme possède ici une dimension ludique, elle longe sur les trois étages un «mur-bibliothèque» qui permet au propriétaire d’accéder facilement à tous les éléments de la vie quotidienne : vêtements dans la partie chambre, livres et œuvres d’art dans la partie séjour, bouteilles de vin dans la partie inférieure. Dans ce projet la plateforme devient une interface entre l’espace à vivre et l’expérience de vie. Ce cas nous permet de démontrer que l’accessibilité pour tous peut être en fait l’opportunité d’une expérience architecturale qualitative et insolite.
Maison Lemoine – Crédits photographiques OMA
Apres l’étude de différents cas, nous pouvons noter que, même si l’emmarchement est un défi récurrent de la mise en accessibilité de l’entrée dans les bâtiment patrimoniaux, différentes solutions permettent de palier au problème, avec cependant, une qualité d’usage plus ou moins satisfaisante. Des solutions architecturales peuvent être mises en place si le bâti offre des opportunités de réaménagement des flux inétrieurs et extérieurs. Lorsque que cela s’avère insuffisant, des solutions techniques peuvent être apportées pour aménager des entrées accessibles à tous. L’intégration de ces dispositfs devra, dans ce cas, faire l’objet de toutes les attentions, car, de sa qualité, dépend l’intégration des personnes en situation de handicap et, par là même, la qualité d’usage proposée à tous.
Article réalisé dans le cadre d’un atelier pédagogique organisé à l’Ecole de Design de Nantes Atlantique (Janvier 2014). Encadrement : Clémentine Laurent-Polz / Etudiants : Olivier Malgat et Léa Pelotte.
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